Al-Qaïda du Maghreb contre une Chine «antimusulmane» ?

Redaction

salah-abou-mahamad L’AQMI menace-t-elle vraiment les intérêts chinois. Oui, répondent les « spécialistes ». Mais à ce jour l’AQMI ne s’est pas exprimé, d’où de nombreuses questions sur les méthodes de travail des « experts

Al Qaïda du Maghreb menacerait les ressortissants chinois en raison de la répression contre la minorité musulmane, les Ouïghours, au Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Dans de nombreux médias internationaux, et en dépit de l’absence d’un communiqué de la nébuleuse organisation, l’affirmation est répétée comme une évidence. Il est vrai également que la République Populaire de Chine a semblé lui conférer une certaine consistance en appelant, dans un communiqué de son ambassade à Alger, les « entreprises chinoises et leurs personnels à veiller davantage à leur sécurité et à renforcer les mesures de sécurité » et à signaler « toute situation d’urgence ». Certains analystes voient dans la réaction chinoise une manière de suggérer un lien entre la contestation des Ouïghours et le terrorisme islamiste.

Il reste que Pékin n’ignore pas – les réactions officielles d’Erdogan évoquant une « sorte de génocide » en sont un signe – qu’elle doit prendre au sérieux les éventuelles répercussions de la crise au Xinjiang pour ses entreprises et ses ressortissants en terres d’Islam. Mais cela n’empêche pas de souligner que l’alerte à la menace islamiste n’est pas venue par le biais classique d’un communiqué de l’AQMI. C’est un « cabinet de risques » londonien, Striling Assynt, qui a évoqué des menaces d’attaques contre les travailleurs chinois en Algérie. Il semble clair que ce « bureau d’étude » britannique se soit fondé sur des forums de discussions islamistes – des milliers d’entre eux sont créés par les services de renseignements pour sonder et identifier des profils particuliers – pour faire état d’une telle menace. C’est singulièrement léger mais imparable.

Prophétie auto-réalisatrice

Il est en effet statistiquement impossible de ne pas trouver dans les forums de discussions une évocation de la répression contre les Ouïghours ou des appels à la vengeance. Faut-il donner du crédit à tout ce qui s’échange dans ces forums ? Raisonnablement, la réponse est négative. Mais il se trouve que certains défendent une logique d’une sophistication surprenante selon laquelle le « cyber-islamisme » serait l’espace virtuel où une base informelle – les internautes- exprimerait des demandes et des exigences que des « décideurs » ou un « centre » se chargerait de traduire en décision et en acte. Un observateur algérois estime que l’exercice relève précisément de la prophétie auto-réalisatrice. L’emballement des médias au sujet d’une menace, non avérée à l’heure actuelle, de l’AQMI contre les Chinois risque de la rendre effective. Il ne serait pas étonnant, selon cet observateur, qu’un communiqué finisse par être « arraché » à l’AQMI qui, le 17 juin, a signé son attentat le plus sanglant en tuant 18 gendarmes dans une embuscade dans la région de Bordj Bou Arreridj. L’attentat avait un lien indirect avec les travailleurs chinois, puisque le convoi de gendarmes attaqués venait de les escorter sur un des chantiers de l’autoroute est-ouest. Le fait est que les Chinois n’avaient pas constitué, jusqu’à présent une cible des djihadistes, en raison d’un impact médiatique estimé faible, voire nul. Il faut aussi souligner que, parmi les travailleurs chinois en Algérie, il y a également des ouïghours très présents dans les denses réseaux de commerce privé sino-algérien.

Faire perdre l’avantage sécuritaire aux chinois

Évalué froidement, ce manque de « valeur » médiatique des Chinois est, en terme économique, un atout face aux concurrents occidentaux considérés comme des cibles de « valeur ». La crise dans le Xinjiang, entre autorités chinoises et minorité Ouïgoure changerait-elle la donne en plaçant la Chine en confrontation avec les mouvements islamistes ? La réponse n’est guère évidente. Mais on peut supposer raisonnablement qu’il ne déplairait pas aux rivaux des dynamiques chinois que ces derniers perdent l’avantage « sécuritaire » de ne pas représenter une cible pour les organisations terroristes. D’où la question logique : les forums de discussion islamiste qui sont aujourd’hui la « source » de la menace contre les intérêts chinois en Algérie et de manière plus générale dans le monde musulman – on pense aussi au Soudan – sont-ils orientés dans cette direction ? Cela relativise en tout cas la thèse d’une « demande de la base » formulée par le cyber-islamisme, que des organisations se chargeraient de réaliser. Il est remarquable de relever dans certains écrits de la presse occidentale, au sujet de cette menace présumée, un florilège de poncifs antichinois. Comme si l’on jubilait de voir ces redoutables concurrents, ces agents de la « sinisation de l’Afrique », dans la ligne de mire des terroristes.

Sana Harb
(Les Afrique)