Panaf d'Alger. La danse du masque, tout un rituel

Redaction

masque

Par Moussa Konaké* (contribution pour algerie-focus)

En Afrique, la danse est le principal moyen d’expression du masque. Les danseurs africains sont célèbres pour leur activité, souvent violente, dans laquelle ils font montre d’une grande virtuosité, en dansant sur des échasses ou en marchant sur une corde tendue. Les masques africains ne sont utilisés que pour des cérémonies rituelles. Parfois, les mêmes masques peuvent être utilisés pour des rituels et pour des amusements. Ils sont liés à tous événements de la vie tels que les sociétés et les artistes les vivent. Outre l’aspect socioreligieux, le danseur fait entrer le masque sculpté dans une composition tridimensionnelle: une sculpture composée de sa personne en mouvement, de son costume et de son masque, bouge et tourne autour de nous.

L’Art nègre

A l’origine, nègre vient du latin «niger» qui signifie noir. L’appellation «art nègre» est apparue lors de la colonisation pour qualifier l’art traditionnel. Il fut conservé par les artistes occidentaux qui découvrirent l’art africain. Aujourd’hui, cette notion est péjorative comme celle d’art primitif, avec l’idée que le primitivisme est opposé au monde occidental, sous-entendu au monde civilisé. Donc pour la qualifier, on préfère aujourd’hui l’appellation d’art premier ou traditionnel.

Le masque africain dans l’art africain

Les Bozo-bambara

Le peuple bambara (ou bamana) et bozo vivent dans le centre du Mali et font partie d’une vaste aire culturelle appelée Mandé. Les groupes bambaranas installés le long du fleuve, entre Bamako et Djenné, vivent en symbiose avec les pêcheurs bozo et partagent avec eux la tradition théâtrale des Sogo «animaux». Les bozo sont des pêcheurs installés le long des fleuves Niger et Sénégal, de Kayes jusqu’à Mopti. L’activité principale des Bozo est la pêche, mais ils pratiquent aussi un peu d’agriculture. Les Bamana les appellent Jutigi ce qui signifie «Maîtres de l’eau». Les pêcheurs Bozo, nés des «premières jumelles» vouent un culte à Faro, le génie de l’eau. Il sacrifia le bélier mythique Saga, figure expiatoire qui favorise la pêche, en réparation des fautes de l’antique Mère-Terre qui troubla l’ordre cosmique en s’accouplant au serpent. Par cette immolation, Faro, maître du verbe, réorganisa l’univers sur le principe de la gémellité. Les masques et marionnettes traditionnel bozo se caractérisent par leur diversité formelle et par leur richesse iconographique. Dans la mesure où les spectacles mettent en scène des petites marionnettes à gaine, articulées ou non, des marionnettes habitables de grande taille, des marionnettes castelets articulées et des masques, il serait plus juste de parler d’objets théâtraux que de marionnettes. Le répertoire des masques et des marionnettes est très large. Il comprend des animaux, des personnages et des esprits, aussi bien issus de mythes que des contes. Le théâtre de masques et de marionnettes dresse en outre un tableau complet de la vie quotidienne: tous les types sociaux y sont représentés et la vie villageoise y est toujours dépeinte avec humour. L’art des masques et des marionnettes s’inscrit dans le contexte de grandes fêtes pluridisciplinaires mettant en scène musiques, chants, danses, acrobaties, mascarades et théâtre de marionnettes. Ces manifestations sont appelées Sogo bo, Do bo ou Céko, ou Nyènajè d’une façon plus générale.

La confrérie initiatique du N’tomo, présente au Mali dans la vallée du Niger (bien qu’elle n’existe pas partout), concerne les jeunes garçons non circoncis, et reste donc assez débonnaire (en guise d’épreuve, par exemple, il arrive que l’on demande aux enfants d’immoler un lézard!), mais elle prépare à d’autres rituels. Les petites oreilles en forme de cavet, les yeux en forme de grains de café, la bouche dont la courbe, juste au-dessus du menton, se prolonge sur les arêtes des joues, sont des traits stylistiques de l’art des Bolons, communauté mandée vivant à la frontière du Mali et du Burkina Faso. Le visage ovale qui se rétrécit considérablement au niveau de la bouche, la coiffure en forme de «peigne», le nez allongé et fin sont des marques caractéristiques du style des masques du Ntomo. L’une des plus importantes sociétés d’initiation des Bamana est la société Chiwara, à laquelle hommes et femmes peuvent appartenir. Cette société commémore un être mythique, Chi Wara, né de l’union de la vieille mère-terre, Mousso Koroni, et d’un serpent. Il est donc en partie homme, en partie antilope, et en partie fourmilier, c’est lui qui apprit aux Bamana à cultiver le sol. Il fait des hommes d’habiles fermiers, et leur enseigne les relations fondamentales entre le soleil et la terre qui porte d’abondantes cultures. Ces cimiers sont portés par des couples masculins et féminins lors de célébrations qui ont lieu dans les champs au début de la saison des cultures, lorsque les résidus et le chaume des moissons des années précédentes sont brûlés: il arrive qu’en cette occasion, de petits animaux et même parfois des antilopes s’enfuient, pourchassés par les flammes. Les Bamana, comme la plupart des Africains, honorent leurs ancêtres et se placent sous la protection bienveillante de leurs esprits. Leurs vies s’organisent autour de sociétés d’initiation qui leur enseignent tous les aspects de la vie bamana. Celles-ci comprennent les sociétés n’domo, komo, nyama, kono, chiwara et koré.

La société n’domo s’occupe de la circoncision et prépare les garçons à leur futur rôle d’adultes. Ils y apprennent les origines de l’humanité. Komo s’occupe de la loi et enseigne la cosmologie des Bamana. C’est la société des forgerons. Nyama agit contre la sorcellerie et les esprits malveillants. Kono enseigne la dualité de l’humanité en tant que corps et esprit. Chiwara célèbre l’être mythique qui enseigna l’agriculture aux Bamana. Koré fournit une instruction morale et enseigne l’importance de l’humanité dans l’ordre du monde. Son enseignement porte sur la mort et la résurrection de l’individu. Koré est divisé en huit niveaux distincts qui correspondent aux éléments célestes et terrestres. L’hyène était l’animal gardien de la société Koré. Son masque était utilisé tant au cours des rites d’initiation que pour les festivités liées à l’agriculture pour favoriser la fécondité de la terre, et parfois, provoquer la pluie. Parmi les masques du Koré, le lion, l’hyène et le cheval sont les formes les plus courantes, chacun de ces animaux renvoyant à une étape de l’initiation et à des préceptes moraux. Chez les Bambara, il existe six sociétés d’initiation d’une grande importance. Elles enseignent la compréhension de tout ce qui touche à la nature et à la destinée de l’être humain. La société Koré en est l’ultime, celle à laquelle on n’accède qu’au terme d’un long apprentissage qui a pour but de débarrasser l’individu de l’impureté Wanzo. Le Koré lui-même comprend huit classes d’initiés symboliquement liées à des catégories sociales ayant chacune son emblème.

La seconde de ces classes est celle des Dyaraw. Les lions. Au cours des cérémonies, les danseurs miment les caractères d’animaux représentés et évoquent la progression de l’homme dans le savoir. Le masque buffle n’est pas attaché chez les Bambara à une société d’initiation. Il est néanmoins pour ce peuple d’agriculteurs porteur de sens. Ainsi la croissance des cornes des animaux (celles du buffle sont particulièrement grandes) est symbole de fécondité et de fertilité, comme également la croissance des plantes. Chaque année a lieu dans la région de Bougouni avant la saison des pluies une grande fête «Sisson» qui réunit durant trois jours toute la population du village, on consomme force bière de mil ou vin de palme. Le masque buffle ouvre les danses, suivi par d’autres masques animaux. Comparé au masque du Komo couvert de poils, de crocs et de plumes, celui du Kono semble presque nu. Les masques du Kono sont les plus grands, les plus stylisés et les plus dépouillés des masques horizontaux. Ils représentent tout à la fois un éléphant (sagesse, intelligence) et un oiseau (génie, ubiquité).

Les gracieuses sculptures en bois des bambaras, figurant les nombreuses espèces d’antilopes de la savane africaine, fixées sur des calottes de vannerie, sont bien connues de tous les amateurs d’art africain et ont contribué à faire connaître la sculpture bambara auprès d’un large public. L’antilope figure le soleil dont la chaleur est féconde. La croissance de ses cornes est semblable à celle des plantes au sein de la terre. Travailler dans les champs ne suscite que rarement la création artistique, en tout cas chez les fermiers eux-mêmes. Pourtant, en Afrique, l’activité rurale, parfois ritualisée, engendre des œuvres exécutées par des sculpteurs qui demeurent également agriculteurs. Tels dans une grande partie du Mali, notamment chez les Bamanas, les cimiers tyiwara qui ont pour rôle de glorifier le travail de la terre, de stimuler un labeur collectif. Lors de fêtes agraires gérées par des confréries, des porteurs arborent des coiffures en forme d’antilope stylisés représentant l’être légendaire qui leur aurait appris à cultiver. Ils dansent en imitant les pas de l’animal, avec des déplacements rapides sur les talons, sauts, gambades, arrêts brusques pour surveiller une menace possible. Le plus souvent, les cimiers sont sculptés par paires, l’un féminin, l’autre masculin, et ces ornements apparaissent au début de la saison des pluies pour accompagner les cultivateurs aux champs.

Lors des récoltes, deux jeunes gens de l’association qui possède de tels cimiers exécutent, avec leurs atouts, des danses pour célébrer le meilleur cultivateur du village. Les masques tyiwara étaient répandus dans tout le Mali sous diverses formes. Ils sont désormais en déclin, en raison des différents facteurs: exode des jeunes, progression de l’islam, et surtout introduction de nouvelles méthodes d’agriculture. L’art des Marka se rattache au groupe Bambara. Les masques de bois sont souvent recouverts de feuilles de laiton ciselées et martelées. Ces réalisations font irrésistiblement penser à Modigliani.

Les Dogons

Les Dogons vivent dans les spectaculaires falaises de la faille de Bandiagara, à l’Est du fleuve Niger, à environ 150 kilomètres de la ville commerçante de Djenné, dans l’Est du Mali. Ils vivent dans 700 villages construits en briques de terre et en pierres cimentés par un mortier d’argile. Ces villages sont installés au-dessus et au pied de ces falaises, et sur les pentes des talus d’éboulis. Les Dogons sont des cultivateurs qui font pousser le millet, le sorgho, le maïs et les oignons. La terre étant difficile à cultiver, ils durent aménager des petits champs rectangulaires bordés de pierres, fertilisés par le fumier des ânes et soigneusement arrosés et entretenus.

Les principaux chefs religieux dogons sont les Hogon, prêtres du culte lébé, consacré à l’agriculture. Une des plus importantes cérémonies du lébé est appelé bulu: elle célèbre le renouveau et le retour de la vie, et a lieu au printemps. Les ancêtres sont honorés à travers le culte binu, et accordent tour à tour leur bienveillance à leurs descendants. C’est surtout lors de funérailles et pendant le culte binu que les masques qui ont rendu les Dogon célèbres sont utilisés. Les dogons font partie des peuples d’Afrique les plus étudiés depuis 1940. Ce sont généralement la géométrisation et la protubérance du front, du nez et de la bouche, qui frappent. Ce sont là, semble t’il, des éléments plastiques d’identification des masques chasseur chez les dogons. Le masque kanaga dogon (awa danu pini) est l’un des masques le plus important comte tenu des nombreux symboles dont il est l’image. Plusieurs exemplaires de ce masque apparaissent lors des sorties de masques, qu’elles soient suscitées par une fête de levée de deuil ou, de nos jours, par des festivités à caractère purement ludique.

Ce masque est identifié par les non-initiés comme l’oiseau komolo tebu (une espèce d’outarde dont la couleur blanche du ventre et des ailes est celle de la hampe du masque). Il évoque, pour les détenteurs du savoir, le créateur montrant le ciel d’une main, la terre de l’autre. Lors de la danse, les porteurs font basculer le sommet de l’effigie pour quelle frotte le sol, puis redressent brusquement le buste. Ces mouvements rotatifs sont censés figurer la giration de la matière à l’origine, quand le dieu a créé le monde en faisant graviter les quatre points cardinaux autour d’un centre d’attraction: le visage du masque. La partie faciale a été taillée avec deux larges trous évidements pour les yeux, séparés dans le sens de la hauteur par une fine cloison nasale rectiligne. La figure rectangulaire du masque lièvre est percée de deux yeux et surmontée de deux larges oreilles, dont la concavité est généralement tournée vers l’avant. D’après le mythe à Sanga, le chien d’un chasseur de la région de Yougo ayant vu un lièvre le poursuivit et le saisit. L’ayant attaché à une corde, il tailla un masque de bois à l’image de la bête qu’ensuite il tua et mangea. Une deuxième version dit qu’un chasseur ayant vu un lièvre fuir de buisson en buisson, regarder en dressant les oreilles, repartir en les couchants sur le dos, tailla un masque à l’image de la bête et dansa en imitant sa mimique.

La yasigine «femme du sigi» ou «sœur des masques» est la seule femme à jouer un rôle actif dans les rites de l’awa et, de ce fait, elle occupe une position éminente dans la société. Elle prend part aux beuveries du sigi, approche les hommes masqués lors des cérémonies funèbres et peut se mêler à certaines danses. Son rôle consiste principalement à désaltérer les danseurs masqués au repos et à préparer l’huile de sésame qu’on ajoute à la bière de mil en certaines occasions. D’une manière générale, elle est la servante des hommes de l’awa. Les masques singes présentent de grandes différences morphologiques qui s’expliquent sans doute par des origines géographique diverses ou par une époque de réalisation différente. Ces masques témoignent de l’évolution dans le temps d’un même thème iconographique et de la capacité d’invention des sculpteurs dogon. Le masque sirige «long, haut», ou awa danu «masque de bois haut», est comparé communément à une «maison à étage», c’est à dire une maison pourvue d’un étage, à façade compartimentée, telle que seuls peuvent en posséder certains chefs ou hommes opulents. Son origine serait relativement récente. Taillé dans un seul tronc d’arbre, ce masque est surmonté par une planche dont la longueur peut dépasser 5 mètres, planche composée d’éléments pleins alternant avec des éléments à clairevoie, ces derniers peints en noir alors que les premiers sont ornés d’un décor géométrique rouge et blanc. La planche ainsi décorée représenterait un «saint tendu», esprit de forme humaine dont on dit qu’il est dressé comme un poteau et couvert de dessins aux lignes brisées.

Les Dogon sculptaient souvent des personnages représentés debout les bras levés. Ils avaient peut-être emprunté cette attitude aux précédents occupants du spectaculaire escarpement de Bandiagara, un peuple généralement nommé Tellem. Les personnages aux bras levés symbolisaient toujours une supplique à Amma pour qu’il accorde la pluie indispensable à toute vie, et qu’il s’agissait également d’un geste de contrition après que la violation d’une loi rituelle ait causé la sécheresse. Le porteur du masque antilope tient un bâton avec lequel il fait semblant de creuser le sol pour y semer des graines. Il est craint des enfants, qui pourtant le provoquent. Cachés derrière des murs entourant la place de danse, ils chantent.

Le mythe

Dans un village de la région de Yougo, une antilope tua à coups de cornes plusieurs moutons et chèvres qui paissaient. Les hommes dirent alors «Pour capturer cette antilope, creusons un trou profond et mettons dedans un bouc: comme est heureuse quand elle peut donner des coups de cornes, elle descendra dans le trou et voudra tuer le bouc, alors nous la prendrons et nous l’égorgerons». Le trou creusé, l’animal arriva. Comme il approchait, une femme répétait aux hommes: «il est dangereux d’être rencontré par le walu». Le trou n’étant pas assez profond, l’animal sortit de son trou sans faire mal au bouc. Mais l’un des hommes tira sur le walu et le blessa: rendu furieux, l’animal chargea l’homme et l’éventra. Tandis qu’on l’emportait, d’autres chausseurs tuèrent cette antilope. Plus tard, le nani (répondant) du mort étant tombé malade, il fallut tailler un masque à l’effigie de l’animal pour conjurer son nyama.

*Journaliste africain pour Algerie-Focus.com