La leçon du scandale financier KHALIFA en Algérie : urgence d’un Etat de droit et de la moralisation de la gestion de la Cité.

Redaction

« Il vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens » (John Maynard Keynes)

L’affaire Khalifa revient sur la scène après que le tribunal anglais le 25 juin 2009 ait décidé d’extrader Abdelmoumène Khalifa. Mais cela peut prendre plusieurs mois et si le verdict est confirmé par la chambre des Lords (haute cour) du fait de l’indépendance de la justice britannique vis-à-vis de l’exécutif. Cette modeste contribution a pour souci de situer la problématique, du fait que les derniers rapports internationaux 2006/2008, montrant clairement que le niveau de corruption en Algérie est à un niveau très élevé et qui malheureusement tend à s’étendre.

Pour l’ONG de lutte contre la corruption TransparencyInternational à travers son Indice de perceptions de la corruption (IPC) pour 2008 – indice créé en 1995-, indice qui donne une estimation assez fidèle sur l’étendue de la corruption au niveau de 180 pays, évaluant la perception du niveau de corruption affectant les administrations publiques et la classe politique. C’est un indice composite fondé sur différents sondages et enquêtes réalisés par des organismes indépendants, classant les pays sur une échelle de 0 (haut degré de corruption perçu) à 10 (faible degré de corruption perçu). L’Algérie obtient et ce, pour la 6e année consécutive, une très mauvaise note — 3,2 sur 10, et un très mauvais classement, la 92ème place sur 180 pays classés. En 2007 l’Algérie avait 3 sur 10, et la 99 ème place. En 2006 : 3,1 sur 10 et 84ème place (sur 163 pays) ; en 2005 : 2,8 et 97ème place (sur 159 pays) ; en 2004 : 2,7 et 97ème place (146 pays) ; en 2003 : 2,6 et 88ème place (sur 133 pays). L’Algérie est en 10ème position sur 18 pays arabes classés, après la Tunisie et le Maroc qui obtiennent de meilleurs scores (respectivement 4,4 et 3,4), le Qatar étant en tête de sous-classement régional avec une note de 6,5. Le premier Ministre algérien Ahmed Ouyahia pour le cas Khalifa a parlé de hold-up du siècle. Mais est ce que ces pratiques occultes de Khalifa sont-elles le fait d’un groupe limité ou ont-ils pu se réaliser sans la complicité de nombreux acteurs du système ? C’est toute la question.

I- DES SCANDALES A REPETITION DEPUIS L’ INDEPENDANCE POLITIQUE

Les différents scandales financiers en Algérie, qui touchent l’ensemble des secteurs publics et privés, la corruption s’étant socialisée, relatés chaque jour par la presse nationale, dont le dernier en date en ce mois de juin 2009 est celui du grand scandale de la banque nationale d’Algérie ( BNA), dépassent souvent l’entendement humain du fait de leur ampleur, encore que tout Etat de droit suppose la présomption d’innocence afin d’éviter les suspicions et les règlements de comptes inutiles. Pourtant, ces constats témoignent de la désorganisation des appareils de l’Etat censés contrôler les deniers publics et surtout le manque de cohérence entre les différentes structures en cette période difficile de transition d’un système étatique à une véritable économie de marché concurrentielle renvoyant à la refondation de l’Etat, objet de cette modeste contribution.

Ces scandales jouent comme facteur à la fois de démobilisation des citoyens par une névrose collective du fait que ces montants détournés sont la propriété de toute la collectivité nationale, et comme frein à l’investissent national et international porteur de croissance et de création d’emplois durables. Cependant, et il faut le souligner, c’est pour la première fois de l’histoire de l’Algérie que des procès publics ont lieu, du fait que la corruption existe depuis l’indépendance politique. Cela dénote de l’urgence d’une moralisation de la vie publique, en mettant en place d’autres mécanismes qui évitent que ces pratiques ne se reproduisent. La mise en place de ces mécanismes transparents renvoie à plus de liberté, d’efficacité économique, de justice sociale,( indépendance de la justice), de moralité des institutions et de démocratie.

II- L’ORIGINE DE L’ACCUMUALTION dES RICHESSSES EN ALGERIE

C’est par rapport aux référents anthropologiques que s’est constituée la assabia ethnico-financière. L’accumulation des richesses a suivi le processus de positionnement des cadres dans les secteurs névralgiques ou même secondaires de l’économie et surtout son domaine public. C’est presque à partir de l’accumulation des richesses dans ce secteur et leur redistribution que s’est construite la structure de classes en Algérie, structuration lente non achevée d’où l’importance de certaines fonctions électives ou nominations à des postes clefs où les candidat y voient un moyen de s’enrichir et enrichir leurs soutiens.

En effet, ce genre de situation est à prendre en considération et sa gestion consiste à entreprendre une sorte de carte généalogique de chaque espace et le gérer au cas par cas et non pas en se contentant de positions souvent incertaines ou qui ne le sont plus. Car les entreprises publiques sont fortement dominantes et imbriquées dans le système administratif lieu de relation de clientèles. Leur gestion est défectueuse, croulant sous le poids des dettes, et sont à l’origine de l’essentiel du déficit budgétaire et du niveau élevé de la dette publique. Quant à certaines entreprises privées elles ne sont pas autonomes mais trouvent leur prospérité ou leur déclin dans la part des avantages financiers, fiscaux, leurs parts de marché auprès des entreprises publiques et des administrations. Cette organisation spécifique où l’autonomisation de la décision économique est faible engendre peu d’innovation, d’esprit d’entreprise.

Aussi certaines entreprises publiques ou privées sous traitantes ce secteur, vivant du transfert de le rente exercent des pressions pour accroître le protectionnisme néfaste à terme et sont peu enclins à la concurrence internationale. Mais il faut reconnaître que depuis quelques temps avec la formation plus élevée, et l’ouverture sur l’extérieur, nous assistons à la naissance de nouvelles entreprises mues par de véritables entreprenants. Pourtant les multitudes pressions administratives, combinées avec l’absence de motivation ne leur permettent pas la créativité et l’imagination. C’est dans ce cadre qu’il faut revaloriser la compétence qui n’est nullement synonyme de poste dans la hiérarchie informelle, ni de positionnement dans la perception d’une rente.

La compétence doit se suffire à elle-même et son efficacité et sa légitimité se vérifient surtout dans la pertinence des idées et la symbolique positive qu’elle ancre dans les corps et les acteurs sociaux. La compétence n’est pas un diplôme uniquement mais une conscience et une substance qui nourrissent les institutions et construisent les bases du savoir.

III- SOCIALISATION DE LA CORRUPTION ET FAIBLESSE DE L’ETAT DE DROIT

Dans toute société où domine un État de droit, c’est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté. La gouvernance, bonne ou mauvaise, prend sa source de l’esprit des lois et non des fantaisies chatouilleuses. Le passage de l’Etat de « soutien » à l’Etat de droit est de notre point de vue un pari politique majeur car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la Nation et l’Etat. Dès lors, la question centrale qui se pose est la suivante : vers quelle mécanique politique se penchera la refondation politique en cours en Algérie, celle qui instaure un vrai consensus pour une concorde non seulement nationale mais communautaire ? En réalité, la question qui mérite d’être posée aujourd’hui : est-ce que les pouvoirs politiques algériens successifs ont édifié un État national d’abord et qu’est-ce qu’un Etat national dans le cas algérien précisément car, il faut bien le rappeler, il n’y a pas d’Etat national standard. Il n’y a que ce que les équipements anthropologiques intrinsèques peuvent modeler comme système politique inhérent à chaque situation socio-anthropologique. Et les concepts eux-mêmes ne sont en fait que l’émanation de ces états anthropologiques. Le poids de « l’anthropologique » dans l’élaboration des modèles politiques apparaît clairement dans les systèmes politiques arabes actuels.

En effet, si le concept « d’Etat national » paraît couvrir ces systèmes, les différences structurelles et institutionnelles sont telles que le concept « d’Etat national » échappe à l’emprise du concept lui-même et renvoie plutôt à des constructions historiques de terroirs que des modèles de territoires. La complexité de son contenu se trouve dans ce particularisme qui dans la civilisation de l’Islam a permis une double formation politique, celle de la Nation construite sur un substrat idéologique et intellectuel avec une large autonomie et celle des Etats formés à partir des équipements anthropologiques dont la assabia est la pièce maîtresse. Si la Nation transcende l’histoire car fondée sur le transcendantal religieux, l’Etat reste une entité historique et assabienne qui périclite comme le signifie Ibn khaldoun quand son âge politique tire à sa fin dont la cause fondamentale est l’immoralité (corruption) qui tend à dominer toutes les structures de tout pouvoir.

IV – REFONDATION DE L ÉTAT

La refondation de l’Etat ne doit pas être comprise comme une négation de notre identité mais comme une nécessité que les mutations et les enjeux d’aujourd’hui imposent. La refondation de l’Etat actuellement dépasse et de loin l’aspect technique de la politique. Elle touche en réalité le fondement de la République et les idées qui la fondent. Un Etat fort ne se mesure pas uniquement par une quelconque action sociale et économique, mais aussi par une opposition féconde capable de prendre le relais. Un Etat droit est un Etat de justice, où la hiérarchisation sociale est codifiée par des normes admises, assimilées et intériorisées.

Ces normes sont d’abord le résultat d’une grande maturation historique durant laquelle l’individu ou le groupe aurait démontré par les actes ses disponibilités à servir la communauté, et ce à partir de ses qualités intrinsèques et qui font l’unanimité. Si refondation de l’Etat il y a, ce n’est pas non plus des retouches techniques touchant la réorganisation bureaucratique du territoire. La refondation de « l’Etat algérien » passe nécessairement par la refondation de son esprit (philosophie) et ses lois (règles) pour qu’elles deviennent un Etat droit. Dans ce cas, la démocratie devient uniquement un outil et une méthode et non une doctrine pour réaliser un Etat de droit. La démocratie a les hommes qui l’ont élaborée mais elle a aussi son prix. Aussi, dans le cadre de cette refondation politique, l’Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de la promotion sociale et limiter l’action de l’immoralité et de la assabia (relations tribales et de clientèles) facteurs de la décadence de toute société.

En effet, les résurgences identitaires et tribales peuvent les conduire à un comportement conservateur, surtout qu’à un certain temps ils ont joui de privilèges importants qui les poussent progressivement à former des lobbys discrets, mais efficaces de blocage pour bloquer les réformes ou nous assistons à deux logiques contradictoires au niveau des sphères du pouvoir , la logique rentière dominante mue essentiellement par l’ importation et bloquant les réformes de structures et la logique entreprenneuriale minoritaire , assistant paradoxalement à un frein aux réformes lorsque les cours du pétrole s’élèvent et une accélération timide lorsque els cours baissent.

V- POUR UNE TRANSFORMATION CULTURELLE DES MENTALITES

La prospérité ou le déclin des civilisations de l’Orient et de l’Occident avec ce brassage des cultures à travers le temps, ont montré qu’il ne s’agit pas de renier les traditions positives qui, moulées dans la trajectoire de la modernité, peuvent être facteurs de développement : l’expérience du Japon, de la Chine , de l’Inde et de bon nombre de pays émergents l’atteste, car un peuple sans sa culture est comme un peuple sans âme. Or, l’absence d’une élite organique agissante en Algérie capable d’élaborer des idées structurantes et peser par ses analyses sur les tendances et les choix majeurs qui fondent et marquent le lien social, se fait cruellement sentir. Ce vide culturel a des incidences sur la décrédibilisation de la politique, ce qui réduit l’influence de l’élite politique qui, avec la tendance actuelle de son discours, risque d’être disqualifiée.

Et le vide, si vide il y a, risque alors en cas d’un désespoir majeur de nourrir les appétits dormants ou naissants de franges en gestation. La tendance laborieusement démocratique qui se dessine alors perdrait l’essentiel de ses acteurs car la société civile, avec les archaïsmes qui traversent bon nombre de ses segments, ne peut assurer à elle seule l’aboutissement du processus démocratique en cours dans notre pays. Mais au-dessus de tout, l’Algérie reste un pays dynamique, plein de vitalité, qui se cherche et cherche sa voie. Un processus de mutations internes est en train de se faire, par une certaine autonomie qui annonce de nouvelles mutations identitaires – pas celles qu’on croit, mais celles qu’on soupçonne le moins qui s’imposeront. Nous devons devenir des citoyens qui se respectent parce qu’ils se respectent d’abord entre eux d’où l’importance de la tolérance et de débats contradictoires productifs (une opposition féconde nécessaire à tout pouvoir qui a besoin de se corriger) ) qui seuls sont à même de dynamiser la société. Par ailleurs, les exigences d’un Etat fort de sa droiture et de son droit, si elles constituent un outil vital pour la cohésion nationale et le destin de la nation, ne doivent pas occulter les besoins d’autonomie de pouvoirs locaux qui doivent être restructurés en fonction de leur histoire anthropologique et non en fonction des nécessités électoralistes ou clientélistes.

VI- POUR UNE GOUVERNANCE RÉNOVÉE

La moralisation de la société et donc en atténuant la corruption (il ne faut pas être utopique elle a toujours existé dans toutes les sociétés et les différents scandales financiers actuels avec la crise économique le montre clairement) implique la refondation de l’Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique car démobilisant la société. Quand le Président Bouteflika pour l’Algérie évoque pour ceux qui veulent bien l’entendre, la fin de l’Etat de la mamelle, puis celle de la légitimité révolutionnaire, il signifie surtout que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisance inauguré comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politique et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice Sans cela, les grandes fractures sont à venir et la refondation de l’Etat actuellement en préparation ne dépasserait pas une vaine tentation de restauration d’un pouvoir, certes, nationaliste mais qui ne serait plus en mesure de réaliser les aspirations d’une Algérie arrimée à la modernité tout en préservant son authenticité. La refondation de l’Etat ne saurait se limiter à une réorganisation technique de l’autorité et des pouvoirs. Elle passe par une transparence totale et une clarté sans nuance dans la pratique politique et les hommes chargés par la Nation de la faire car la gouvernance est une question d’intelligence et de légitimité réelle et non fictive. Aussi, la refondation de l’Etat algérien, passe par un nouveau mode de gouvernance dont le fondement est la liberté, au sens large, pour une société participative et citoyenne tenant compte de notre anthropologie culturelle historiquement datée, comme en témoignent les différents cycles de civilisations depuis que le monde est monde. Car c’est seulement quand l’Etat est droit qu’il peut devenir un Etat de droit.

Quant à l’Etat de droit, ce n’est pas un Etat fonctionnaire qui gère un consensus de conjoncture ou une duplicité provisoire, mais un Etat fonctionnel qui fonde son autorité à partir d’une certaine philosophie du droit d’une part, d’autre part par une assimilation consciente des besoins présents de la communauté et d’une vision future de ses perspectives.

CONCLUSION

Toute cette présente analyse renvoie à une vision stratégique globale, l’histoire devant être intégrée (le devoir de mémoire) où le Politique, l’Economique, le Social et le Culturel sont inextricablement liés au sein d’un univers de plus en plus globalisé, où les grands espaces socioéconomiques dominent, basés sur la maîtrise des innovations technologiques (le savoir), la révolution dans le domaine de l’information, le contrôle des circuits commerciaux et financiers et en prenant en compte les effets de la crise mondiale actuelle qui devrait entraîner un bouleversement géostratégique et économiques entre 2015/2020 Et avec cet aspect qui concerne notre problématique, la résolution du G20 dernièrement à Londres de lever le secret bancaire. Avec cette préoccupation majeure en ce XXIème siècle, le défi écologique qui nous impose un changement profond dans les deux prochaines décennies de notre mode de production et de consommation si l’on veut éviter un désastre planétaire qui touchera en premier lieu les pays les plus pauvres.

(1) Ce texte est une synthèse extraite de l’ouvrage collectif pluridisciplinaire « Enjeux et défis de l’Algérie 2004/2009-Etat de droit- bonne gouvernance et économie de marché » ouvrage collectif pluridisciplinaire sur ce thème sous la direction de Abderrahmane Mebtoul (2 tomes 500 pages) paru à Casbah Editions( Alger-2005) avec la participation des professeurs Bouchama Chouam,(économiste) Mohamed Tayebi (sociologue- anthropologue ), des politologues Youcef Ikhleff et Mohamed Sabri .

Par Abderrahmane Mebtoul Expert International, Docteur d’Etat En Sciences Economiques (1974), professeur d’Université

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