Les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie, déjà complexes en raison d’un passé colonial lourd de conséquences, sont aujourd’hui entachées par une affaire de corruption et de fraude fiscale impliquant un haut diplomate français. Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, se retrouve au cœur d’un scandale qui soulève de sérieuses questions sur l’intégrité des transactions foncières effectuées au nom de l’État français.
Un Diplômate Respecté dans la Tourmente
Le Contexte : Une Longue Carrière Diplomatique
Xavier Driencourt est loin d’être un inconnu dans les cercles diplomatiques. Fort d’une carrière de plusieurs décennies, il a servi la France dans divers postes à l’étranger, mais c’est en Algérie qu’il a laissé une empreinte indélébile. Nommé ambassadeur de France en Algérie à deux reprises, de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020, Driencourt était perçu comme un fin connaisseur des relations franco-algériennes, capable de naviguer avec habileté dans les méandres d’une relation bilatérale souvent tumultueuse.
Pourtant, derrière cette façade d’expérience et de compétence, des accusations graves sont aujourd’hui portées contre lui. Des faits troublants sont apparus, pointant du doigt des pratiques douteuses dans une transaction foncière de grande envergure à Alger. Ces accusations, si elles se confirment, pourraient jeter une ombre sur toute sa carrière et entacher durablement l’image de la diplomatie française en Algérie.
La Transaction Suspecte : Vente sous-évaluée et Corruption
L’affaire en question remonte à 2011, lorsque Xavier Driencourt, alors en poste à Alger, aurait orchestré la vente d’un terrain de 10 517 m² situé à la rue Sefindja, n°10, dans le quartier prisé d’El-Biar. Ce terrain, sur lequel est érigée une villa moresque baptisée « El-Zeboudj », propriété de l’État français, aurait été vendu à l’homme d’affaires algérien Réda Kouninef pour la somme sous-évaluée de 50 milliards de centimes, soit environ 47 545 DA/m².
Or, selon les services des Domaines algériens, ce terrain avait été estimé à 230 000 DA/m², soit près de cinq fois plus que le montant finalement payé. Cette différence abyssale soulève des questions sur la transparence et la légitimité de cette transaction. Comment un bien d’une telle valeur a-t-il pu être cédé pour une somme aussi dérisoire ? Et surtout, à qui profite cette sous-évaluation manifeste ?
Le Rôle des Intermédiaires et des Politiques
La vente de ce terrain n’aurait pas pu être conclue sans la complicité de plusieurs acteurs influents. Parmi eux, Salim Becha, le notaire chargé de la transaction, aujourd’hui en fuite en Espagne, joue un rôle central. C’est lui qui aurait établi la promesse de vente le 24 février 2011, renouvelée le 29 novembre de la même année. Ce notaire controversé est soupçonné d’avoir usé de ses relations pour faire pression sur les autorités algériennes, notamment sur l’ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal, afin de lever le droit de préemption de l’État algérien sur ce bien immobilier.
La note verbale n°287 du 23 février 2012, émise par la wilaya d’Alger à l’Ambassade de France, aurait dû alerter sur la nécessité pour l’État algérien d’exercer son droit de préemption. Pourtant, sous l’influence présumée de Salim Becha et de Xavier Driencourt, ce droit n’a pas été exercé, permettant ainsi à Réda Kouninef de finaliser l’achat à un prix largement en dessous de sa valeur réelle.
Une Commission Occulte : Le Cœur du Scandale
Les révélations ne s’arrêtent pas là. Des sources indiquent qu’une commission de 2 millions d’euros aurait été versée à Xavier Driencourt par Réda Kouninef pour garantir la conclusion de cette transaction. Ce versement, s’il est avéré, constitue un acte de corruption d’une gravité exceptionnelle, impliquant un haut fonctionnaire français dans une affaire de fraude qui a causé un manque à gagner considérable pour les trésors publics algérien et français.
Cette commission, obtenue en abusant de sa fonction d’ambassadeur, pourrait également avoir des implications judiciaires graves, non seulement en Algérie, mais aussi en France, où des pratiques de ce type sont sévèrement réprimées. L’implication d’un diplomate de ce rang dans une telle affaire soulève des questions sur l’intégrité du corps diplomatique français et sur la manière dont les affaires de l’État sont gérées à l’étranger.
Une Comparaison Qui Accable
La Transaction de 2014 : Une Vente au Prix du Marché
Pour mieux comprendre l’ampleur de l’affaire, il est intéressant de comparer cette transaction avec une autre, réalisée en 2014 par André Parant, successeur de Xavier Driencourt au poste d’ambassadeur de France en Algérie. Cette année-là, Parant a supervisé la vente d’un autre terrain appartenant à l’État français, également situé à El-Biar. Ce terrain, d’une superficie de 5 051 m², a été vendu au prix de 121 milliards de centimes, soit plus du double du montant obtenu par Driencourt pour un terrain pourtant deux fois plus grand.
Cette comparaison est accablante pour Driencourt. Comment justifier une telle différence de prix ? La vente réalisée par Parant montre qu’il était possible d’obtenir un prix beaucoup plus élevé pour des biens immobiliers similaires dans la même zone. Cette disparité ne peut s’expliquer que par une sous-évaluation délibérée, orchestrée dans le but de favoriser l’acquéreur, en l’occurrence Réda Kouninef, au détriment des intérêts de l’État français.
Le Manque à Gagner pour les Trésors Algérien et Français
Le manque à gagner pour les deux États est considérable. En sous-évaluant le prix du terrain, Xavier Driencourt a non seulement privé le trésor français d’une somme substantielle, mais il a également causé un préjudice financier à l’Algérie, qui aurait pu exercer son droit de préemption pour acquérir le bien à sa juste valeur. Ce double préjudice pose la question de la responsabilité des autorités françaises dans la gestion de leur patrimoine à l’étranger.
Les Répercussions Politiques et Diplomatiques
Une Affaire Qui Ébranle la Confiance
Cette affaire, si elle est confirmée, risque d’avoir des répercussions diplomatiques importantes. La confiance entre la France et l’Algérie, déjà fragile en raison de l’histoire coloniale et des tensions récurrentes, pourrait être encore davantage ébranlée. Pour l’Algérie, cette affaire est la preuve que certains acteurs étrangers continuent de profiter de leur position pour s’enrichir au détriment des intérêts nationaux. Pour la France, c’est un coup dur porté à l’intégrité de son corps diplomatique.
Les Enquêtes en Cours
Face à la gravité des accusations, des enquêtes ont été ouvertes des deux côtés de la Méditerranée. En Algérie, les autorités cherchent à faire toute la lumière sur cette transaction et à déterminer les responsabilités de chacun des acteurs impliqués. En France, la justice pourrait également se saisir de l’affaire, notamment pour examiner les allégations de corruption et de fraude fiscale.
Si les faits sont avérés, Xavier Driencourt pourrait faire face à des poursuites judiciaires, tant en France qu’en Algérie. Les implications pour sa carrière et pour l’image de la France à l’étranger seraient considérables. Cette affaire pourrait également conduire à une révision des procédures de vente des biens immobiliers appartenant à l’État français à l’étranger, afin de prévenir de tels abus à l’avenir.
Un Scandale Qui Secoue la Diplomatie Française
L’affaire Xavier Driencourt est bien plus qu’un simple scandale immobilier. Elle révèle les failles d’un système où des diplomates, censés représenter les intérêts de leur pays à l’étranger, peuvent être tentés d’abuser de leur position pour s’enrichir personnellement. Les répercussions de cette affaire pourraient être profondes, tant sur le plan judiciaire que diplomatique.
Pour la France, il est essentiel de réagir rapidement et de manière transparente à ces accusations, afin de restaurer la confiance dans son corps diplomatique et de montrer qu’aucun acteur, aussi haut placé soit-il, n’est au-dessus des lois. Pour l’Algérie, cette affaire est une nouvelle occasion de renforcer sa lutte contre la corruption, un fléau qui continue de miner son développement économique et social.
Le scandale Driencourt est un rappel brutal des dangers de la corruption et de la nécessité d’une vigilance constante dans la gestion des affaires publiques. Il reste à voir comment cette affaire évoluera dans les mois à venir, et quelles leçons en seront tirées, tant en France qu’en Algérie.