Le Maroc, tu ne le critiqueras point ! Voici le commandement qui régit depuis un certain nombre d’années la presse française. Celle-ci n’y voit jamais un inconvénient pour tailler en pièces le régime algérien accusé, à juste titre, de tous les maux : corruption, dictature, violation des libertés publiques, etc. Mais cette même bonne presse française dresse rarement un constat critique à l’égard de la monarchie marocaine qui ne vaut, pourtant, pas mieux que son voisin vermoulu.
Le Maroc, son décor de carte postale, son tourisme sexuel, ses Casbahs, ses plages magnifiques et ses palais ancestraux, voici l’image que la plupart des médias français aiment véhiculer de ce pays dont a l’impression qu’il est un immense Club Med. Le plus grand centre touristique du monde où la population est réduite à servir les repas et danser sous les yeux des touristes qui viennent réaliser leurs fantasmes les plus excentriques. Quant à la population marocaine, elle a rarement voix au chapitre. Ses souffrances causées par une répression policière permanente, ses libertés bafouées et ses richesses confisquées par un monarque absolutiste qui oblige ses notables à se prosterner pour lui rendre hommage, la bay’a, cérémonial d’allégeance, ces réalités amères ne sont presque jamais restituées dans les reportages et documentaires que les médias français consacrent à chaque année au Maroc. Et lorsqu’on veut briser cette omerta médiatique, les tentacules du Makhzen se lancent pour vous étouffer.
Ali Amar, le journaliste marocain, a fait récemment les frais de cette loi. Celle-ci ne pardonne pas aux « moutons noirs » qui osent l’enfreindre. Licencié du site Slate Afrique, visiblement pour ses diatribes contre les autorités marocaines, le sort de ce journaliste, et opposant au Makhzen, est en lui-même une mise à nu de l’insupportable complicité de certains médias français avec les dirigeants marocains. Dans un courriel confidentiel, révélé sur internet par un site marocain, un des responsables de Slate Afrique a même regretté la publication des articles de ce journaliste marocain qui a décrypté sans aucune compromission l’actualité marocaine. « Ce type est un escroc qui nous aura coûté très cher en faisant fuir tous les partenaires marocains avec qui nous avons discuté. On aurait dû prendre cette décision plus tôt ». C’est en ces termes qu’Eric Leser, le directeur de la rédaction de Slate et SlateAfrique, s’est exprimé au sujet d’Ali Amar à qui on reproche sa liberté de ton et son insoumission envers un régime moyenâgeux. Une insoumission qui dérange et pour laquelle Ali Amar a été « dégagé » de la rédaction d’un des sites français les plus réputés et lus dans le monde.
Choqués et bouleversés par cette attitude qui fait fi de toute éthique journalistique, des journalistes et chroniqueurs algériens ont affiché leur solidarité et ont décidé, par la suite, de claquer la porte de la rédaction de Slate Afrique. Akram Belkaïd, Kamel Daoud et Chawki Amari, ont rendu publique leur démission et ont exprimé haut et fort leur indignation après le licenciement de leur confrère marocain. « Dans la presse française, on peut cogner autant qu’on veut sur Abdelaziz Bouteflika, le DRS ou qui sais-je encore, mais, surtout, surtout, pas touche à Mohammed VI », s’est, d’ailleurs, indigné à ce sujet le journaliste Algérien Akram Belkaïd. Quant à la rédaction de Slate Afrique, elle observe toujours un silence mystérieux. Contactée par nos soins pour obtenir une précision, une réaction, une explication, notre demande est restée sans réponse. Comme quoi, on ne veut toujours pas déplaire aux lobbys marocains en France qui jouent magnifiquement bien leur rôle de censeur…