Un lecteur de algerie-focus.com, suite à ma dernière contribution, me fait remarquer que la résolution de la crise actuelle, qui est structurelle et non conjoncturelle, implique de repenser tout le système économique mondial. C’est pour répondre aux préoccupations largement justifiées de ce lecteur que je livre cette modeste contribution qui nécessite certainement des approfondissements.
1- L’essence de la crise
Par rapport à la période contemporaine, faut-il considérer la crise de 1929 comme étant un événement unique dans l’histoire du capitalisme ou faut-il l’apparenter aux autres crises récentes, qui bouleversent les économies capitalistes, encore ne faudrait-il pas tirer des conclusions hâtives et chimériques comme c’est la fin du capitalisme, le retour à l’étatisme et au communisme ? La crise actuelle est une crise systémique du capitalisme mais enclenchée par la crise du crédit (économie de l’endettement).
La crise financière s’avère profonde et n’en est qu’à ses débuts, et les premières conséquences économiques et sociales ne cessent de se faire sentir. Cette insécurité explique que l’once d’or se cote depuis fin décembre 2008 à plus de 950 dollars l’once, les craintes économiques étant si profondes que le raffermissement du dollar, qui en général joue en défaveur de l’or, n’a pas eu d’incidences. Cette crise est liée fondamentalement à la financiarisation accrue en déconnection avec la sphère réelle et la non symbiose de la dynamique économique et de la dynamique sociale oubliant que le travail est certes un prix mais créateur de valeur et vecteur de croissance à travers la consommation.
C’est qu’une des raisons de la crise de 1929 est que les revenus étaient mal répartis entre salaires et profits, entre les plus riches et les autres. C’est la diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises. Entre 1980 en 2006/2007, elle est tombée de 67% à 57% en moyenne, dans les quinze pays les plus riches de l’OCDE. En effet, avec cette financiarisation croissante, nous avons deux types de détention d’actions.
La détention directe (ceux qui les détiennent en propres) et la détention indirecte (ceux qui les détiennent par le biais d’un intermédiaire : organismes de gestion, sociétés d’assurances-vie, caisses de retraite, SICAV). Le fait nouveau réside dans la modification rapide et importante du type d’actions détenues par les ménages. La détention directe d’actions devient minoritaire, pendant que la détention indirecte s’est fort développée. Ce sont aujourd’hui les fonds de pension qui contrôle Wall Street gérant plus de 30% de la capitalisation boursière des USA. Ces dysfonctionnements ont été concrétisées à travers la crise des prêts hypothécaires (subprimes ) en août 2007, crise qui s’est propagée à l’ensemble des bourses mondiales avec des pertes estimées à plusieurs centaines de milliards de dollars, phénomène qui n’explique pas toute l’ampleur de la crise ( évitons de confondre l’essence et les apparences) que je résume en quatre étapes :a- les banques ont fait des prêts immobiliers à des ménages insolvables ou présentant peu de garanties, à des taux d’intérêts élevés ;b- diffusion des mauvaises créances dans le marché : pour évacuer les risques, les banques «titrisent» leurs créances, c’est-à-dire qu’elles découpent leur dette en produits financiers pour la revendre sur le marché. La mondialisation a fait le reste, en diffusant ces titres à risque dans les portefeuilles d’investisseurs de toute la planète.
Les fonds spéculatifs (hedge funds) ont été de gros acheteurs de subprimes, souvent à crédit pour doper leurs rendements (jusqu’à 30 % par an), et faire jouer l’effet de levier, les hedge funds empruntant jusqu’à 90 % des sommes nécessaires ; c- retournement du marché immobilier américain : vers fin 2005, les taux d’intérêts américains ont commencé à remonter alors que le marché financier s’essoufflait. Des milliers de ménages ont été incapables d’honorer leurs remboursements entraînant des pertes pour les banques et les investisseurs qui ont achetés les titres obligataires ont vu leur valeur s’effondrer ;d- crise de confiance : les banques se sont retrouvées dans une situation ou comme dans un jeu de poker , elles savent ce qu’elles ont dans leur bilan , mais pas ce qui se trouve dans celui des autres car ces mauvais crédits immobiliers ont été achetés un peu partout dans le monde et on ne sait quelle est la répartition du risque d’où une grave crise de confiance et depuis juillet 2007, cette situation fait chuter les bourses et paralyse le marché inter- bancaire , les banques ne se prêtant plus ou très peu craignant que leurs homologues soient dans une ligne rouge.
2- crise économique et tensions sociales
Comme durant la période 1929/1936 l’on assise au début des mouvements sociaux de plus en plus persistants face à la crise. En Islande qui a connu par le passé une prospérité inégalée, le Gouvernement a démissionné conséquence directe de la crise économique mondiale suite à la dépréciation de la monnaie nationale et de l’effondrement du système bancaire.
La Chine risque une généralisation des émeutes sociales. En Russie, les recettes du pétrole chutent , les effets combinées de la dégradation de l’emploi et du cours du rouble provoquent des mouvements sociaux non connus depuis la crise des années 2000 au moment de l’effondrement du rouble. Les compressions de personnels au Japon ont, selon les observateurs locaux, un « impact d’une brutalité sans précédent » qui déstabilisent la société japonaise, traditionnellement confiante en sa sûreté. Les mêmes effets commencent en Europe (cas de l’importance grève qui a réuni l’ensemble des mouvements syndicaux en France) en rappelant le cas de la Grèce a déjà vu de graves incidents, ainsi qu’en Irlande, en Grande Bretagne qui a connu la désindustrialisation du pays ayant reposé sa puissance sur la City et les services qui ont connu un effondrement expliquant et de la chute de la livre sterling et du bas taux d’intérêt jamais du vu depuis la création de la banque d’Angleterre.
Les USA ne sont pas exempts et des mouvements sociaux commencent à se manifester dans plusieurs gouvernorats les plus touchés par la crise, l’élection du nouveau président américain avec les espérances qu’il suscite, jouant transitoirement le rôle de tampon amortisseur. Tous ces mouvements, sont des révélateurs de l’aggravation des malaises des sociétés et de l’inquiétude croissante vis-à-vis de l’avenir face à l’ampleur de la crise mondiale. Mais à la différence de la crise 1929 reposant sur des Etats nations (avec des dévaluations des monnaies nationales) existe une nette volonté de régulation des Etats et l’économie mondiale est en déflation (faible inflation, chômage croissance négative) et non en stagflation (inflation et chômage décroissance).
Comme en témoigne la socialisation des pertes de certaines banques, la rapidité des interventions des banques centrales que ce soit la FED américaine ,la banque centrale européenne, la banque d’Angleterre,japonaise, russe, et même chinoise et indienne de coordination pour briser le cercle vicieux du manque de confiance, prêts interbancaires bloqués qui constitue l’élément vital de fonctionnement de l’économie mondiale. Toutefois ces centaines de milliards de dollars injectée s’il n’y a pas reprise pouvant conduire à une hyperinflation mondiale, (l’expérience allemande), la déflation actuelle étant transitoire. Car cette crise s’est propagée à l’ensemble de la planète d’où l’importance de la réunion du G20 tenue le 15 novembre 2008 à Washington et celle prévue à Londres le 02 avril 2009 composés des pays développés et des pays émergents (l’Algérie n’ayant pas été invitée) Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique, Russie, Turquie représentant 85% du PIB mondial et 2/3 de la population mondiale.
3-Inefficience des politiques actuelles et urgence de repenser le système économique mondial
Les nouvelles politiques des dépenses publiques dites néo-keynésiennes avec un rôle central à l’Etat régulateur s’avèreront-elles efficaces, le prix Nobel d’économie de 2001 Joseph Stiglitz estimant que ces actions ne sont qu’une solution à court terme le comparant à «une transfusion sanguine massive à une personne souffrant d’une grave hémorragie interne».
Il est utile de rappeler que dans les années 1930, les mesures mises en œuvre par Roosevelt lors du New Deal n’ont pas été suivies du rétablissement de l’économie américaine. Après une brève remontée vers le milieu de cette décennie, l’économie américaine a connu un ralentissement marqué en 1937-38, aussi important que ceux qui l’avaient précédé. L’économie américaine a commencé à mieux se porter avec la production pour la guerre et après que la stabilité mondiale eut été rétablie grâce à la reconstruction de l’économie mondiale après la destruction massive de la Deuxième Guerre mondiale. Au début des années 1970, les mesures keynésiennes mises en place ont eu un impact limité pour restreindre le développement de la récession, contribuant à l’apparition de la stagflation ce qui a aidé à créer les conditions politiques du programme du « libre marché » de Reagan et Thatcher et au Japon.
Aussi, je ne rentrerai pas dans les débats stériles de peu d’utilité pour les politiques concrètes Keynes est –il mort ou pas car la pratique des affaires et toutes les politiques gouvernementales depuis la crise de 1929 à ce jour ont combiné une politique monétaire active avec une politique de déficit budgétaire ciblée en premier lieu les USA , la dette de l’Etat fédéral étant passée de 424 milliards en 1971 à plus de 11.000 milliards de dollars en 2007/2008. D’ailleurs c’est cette émission sans frein de dollars combinée avec la baisse de la salarisation au sein du PIB (pouvoir d’achat), cette financiarisation accrue de l’économie en déconnection avec la sphère réelle, alors que le fondement du capitalisme repose sur l’entreprise créatrice de richesses, qui a permis aux opérateurs sur les marchés financiers d’acheter à crédit tout en n’étant pas solvable. Ces analyses sont confirmées par des études récentes dont l’OCC (Comptroller of the Currency, l’autorité de tutelle des banques US) que les banques commerciales US possédaient au 30 juin 2008, 182 .100 milliards de dollars de produits dérivés dont JP Morgan Chase 43 000 milliards de dollars et Citigroup 17 500 milliards soit plus que le PIB mondial et qu’au sein de la masse monétaire mondiale les produits dérivés 75%, représentent l’essentiel, 630 000 milliards de dollars, soit 13 fois le PIB mondial.
La crise étant très profonde donc structurelle , l’économie politique traversant elle même une crise , ce qui donne de l’actualité à la théorie d’un des plus grand théoricien du capitalisme à savoir Karl Marx qui n’a pas écrit le socialisme mais le Capital et au grand économiste Schumpeter sur les cycles et au sociologue Polanyi , le renouveau de l’économie politique doit donc combiner des actions structurelles en profondeur et des actions conjoncturelles dont la théorie keynésienne valable que pour le court terme. André Lévy-Lang ancien président du directoire du groupe Paribas, professeur associé émérite à Paris Dauphine fait une analyse pertinente, que je partage, dans le quotidien français les Echos le 04 février 2009, je cite « On connaît bien la thèse de Schumpeter selon laquelle la dynamique du capitalisme est due à l’esprit entrepreneurial davantage qu’aux effets mécaniques de l’accumulation du capital telle qu’elle est décrite par la théorie classique. On omet souvent de rappeler qu’il avait une vision pessimiste de cette dynamique, prévoyant qu’elle serait progressivement paralysée par les contraintes d’organisation du système, notamment par la bureaucratie. A première vue, cette analyse s’est révélée plus apte à expliquer l’échec du socialisme que la crise actuelle. Mais si l’on remplace « bureaucratie » par « système financier » dans la thèse schumpeterienne, on redécouvre combien tout processus créateur est fragile et peut être menacé par une cellule extérieure qui le cancérise.
Avec le sociologue Polanyi, la tendance irrésistible du capitalisme est que l’économie de marché colonise la société pour en faire une société de marché. Progressivement, plus rien n’échappe à la valorisation monétaire des activités humaines. L’économie sort de son lit pour inonder toutes les sphères de la vie humaine. Il en déduisait, dans une synthèse originale de la social-démocratie et des utopies autogestionnaires, que la société civile devait s’organiser pour faire retourner l’économie dans son lit et préserver ainsi de larges secteurs de toute emprise de la spéculation monétaire ». Car l’objectif stratégique est de repenser l’actuel système économique mondial en intégrant le défi écologique, ce système actuel favorisant la bipolarisation Nord/Sud, la pauvreté préjudiciable à l’avenir de l’humanité, accéléré d’ailleurs par les gouvernances les plus discutables de la part de la plupart des dirigeants du Sud, sur les 7 milliards d’âmes les 2/3 étant concentrées au sein de la zone Sud avec moins de 30% des richesses mondiales.
Or, il s’agit de repenser tout le système financier mondial issu de Breeton Woods en 1945 en moralisant le capitalisme (la dernière mesure du président Barak Obama exigeant que les dirigeants des entreprises américaines recevant des fonds publics ne pourront pas toucher un salaire supérieur à 500.000 dollars par an. allant dans ce sens ) et ce en donnant un rôle accru au FMI comme garant de la régulation mondiale et éviter cette suprématie du dollar, qui ne devra plus se limiter seulement aux équilibres macro-économiques (déséquilibre des balances des paiements), tout en élargissant la représentation aux pays émergents au sein des institutions internationales.
Rappelons que le dollar avait connecté à l’or, puis nous avons assisté à sa déconnection en 1971 avec sa suprématie comme étalon d’échange international qui représente aujourd’hui en 2008, bien qu’en diminution relative environ 60% des transactions internationales en 2007/2008.
Le risque à terme, en cas de méfiance en le dollar, serait son déclassement surtout des pays qui possèdent d’importantes réserves de change en dollars ce qui accélèrerait sa dépréciation.
Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert International, pour algerie-focus.com