Réaction à l'interview croisé Stora-Hidouci. Le Maghreb face au projet de l’Union pour la Méditerranée (UPM).

Redaction

Par le Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert International

J’ai écouté avec attention sur algerie-focus.com les interventions du Professeur Benjamin STORA et de Monsieur Ghazi HIDOUCI, ancien Ministre des finances, sur le projet de l’Union pour la Méditerranée, car il est toujours en projet. Je me propose dans ce cadre de livrer cette modeste réflexion, qui constitue une synthèse de ma contribution à la rencontre des experts au forum de Paris au siège de l’Unesco en 2008, suite à l’aimable invitation des organisateurs en tant qu’expert.

Pour ma part, je considère que le projet pour l’Union de la Méditerranée ( UPM) ne sera profitable pour le Maghreb que si d’une part les pays de la rive Nord ont une approche du co-développement loin du mercantilisme et que si les pays du Maghreb ont une vision commune de leur devenir. En effet, face aux bouleversements mondiaux, l’accélération des réformes économiques conciliant efficacité économique et cohésion sociale et la Démocratisation du Tiers Monde passant au préalable par l’instauration d ‘ un Etat de droit qui peut dans une première phase ne pas recouper la démocratie, et une coopération(et (non une aide ) plus intense avec l’Occident pour une plus grande moralisation de la gestion de la Cité ( qualifié de bonne gouvernance) sont les pistes à explorer pour éviter ce dualisme Nord –Sud préjudiciable à l’avenir de l’humanité.

La symbiose des apports de l’Orient et de l’Occident , le dialogue des cultures et la tolérance sont sources d’enrichissement mutuel. IL est dangereux pour le Nord de s’enfermer dans un ghetto qui enfanterait inéluctablement la violence. Les derniers évènements devraient encore mieux nous faire réfléchir évitant cette confrontation des religions car autant l’Islam, le Christianisme ou le Judaïsme ont contribué fortement à l’épanouissement des civilisations, à cette tolérance en condamnant toute forme d’extrémisme.

La mondialisation est un bienfait pour l’humanité à condition d’intégrer les rapports sociaux et ne pas la circonscrire uniquement aux rapports marchands en synchronisant la sphère réelle et la sphère monétaire, la dynamique économique et la dynamique sociale, l’élément culturel souvent négligé étant à mes yeux fondamental.

Les accords de la Tunisie , du Maroc et de l’Algérie pour une zone de libre échange avec l’Europe dans le cadre de Barcelone devaient rentrer dans ce cadre d’adaptation à ce monde interdépendant en perpétuel mouvement. Qu’en serait-il pour le projet de l’union pour la méditerranée ? Au moment de la consolidation des grands ensembles, enjeux de la mondialisation, je suis persuadé du nécessaire rapprochement entre l’ensemble des pays du Maghreb Arabe d’une intensification de la coopération à la mesure du poids de l’histoire qui nous relie et d’une manière générale avec l’Union Européenne si l’on veut dépasser les impacts mitigés du processus de Barcelone imputables tant aux dirigeants du Nord que du Sud.

1- La situation des économies maghrébines

Le Maghreb a un poids économique insignifiant au sein du commerce mondial et même les échanges intra- maghrébins sont dérisoires moins de 2% de leurs échanges globaux. Or l’Europe du Sud (Italie – France – Grèce – Espagne) totalisent 168 millions d’habitants (horizon 2010).

L’Algérie, le Maroc et la Tunisie totaliseront 94 millions d’habitants soit un total de 262 millions d’âmes. Si l’on inclut les riverains méditerranéens dont la Syrie, le Liban, Israël, l’Egypte, Malte, la Turquie, l’Albanie, la Libye et l’ex Yougoslavie dont la stabilité conditionne le développement de l’ensemble des Balkans, nous aurons une population en 2010 qui dépassera les 500 millions. Cette région est frappée actuellement par une récession économique avec un écart croissant, les pays de l’UMA ayant un revenu PNB par tête qui représente moins de 15 % de ceux de la CEE. Cette récession s’explique par différents facteurs dont le manque d’homogénéisation économique pour des raisons essentiellement historiques et sociologiques et qui fait fuir les capitaux vers d’autres cieux plus propices à un moment où la concentration des échanges est dans le Nord, la Chine accaparant plus de 5O% pour la zone Sud. Mais la raison essentielle est le retard pris dans les réformes micro-économiques et institutionnels biens que certains pays du Maghreb ayant largement réussie la stabilisation du cadre macro-économique. Car les entreprises publiques sont fortement dominantes et imbriquées dans le système administratif lieu de relation de clientèles. Leur gestion est défectueuse, croulant sous le poids des dettes, et sont à l’origine de l’essentiel du déficit budgétaire et du niveau élevé de la dette publique.

Quant à certaines entreprises privées elles ne sont pas autonomes mais trouvent leur prospérité ou leur déclin dans la part des avantages financiers, fiscaux, leurs parts de marché auprès des entreprises publiques et des administrations. Cette organisation spécifique où l’autonomisation de la décision économique est faible engendre peu d’innovation, d’esprit d’entreprise. Aussi certaines entreprises publiques ou privées sous traitantes ce secteur, vivant du transfert de le rente exercent des pressions pour accroître le protectionnisme néfaste à terme et sont peu enclins à la concurrence internationale. Mais il faut reconnaître que depuis quelques temps avec la formation plus élevée, et l’ouverture sur l’extérieur, nous assistons à la naissance de nouvelles entreprises mues par de véritables entreprenants. Pourtant les multitudes pressions administratives, combinées avec l’absence de motivation ne leur permettent pas la créativité et l’imagination.

Ainsi la seule sphère réellement autonome vis à vis des sphères du pouvoir est la sphère marchande ou industrielle informelle. Du point de vue des relations maghrébines, cela explique qu’au lieu que l’intégration soit dominée par des économies contractuelles ou organisées, nous assistons à une dynamique informelle caractérisée par une identité culturelle qui permet à des milliers de maghrébins surtout aux frontières de contourner la myopie des bureaucraties nationales.

La raison essentielle trouve un fondement socio-historique qui rend d’actualité les analyses ibn khaldouniennes avec le poids du politique dans les sociétés maghrébines accentué par des structures familiales et des tribales qui se consolident en période de récession économique. Il s’agira impérativement d’intégrer cette sphère dominante au niveau du Maghreb par la délivrance des titres de propriété devenant citoyenne, car acquise aux réformes pouvant constituer une force sociale dynamisante. Dès lors s’impose la nécessité d’une véritable révolution culturelle pour inculquer l’esprit d’entreprise et libérer l’ensemble des énergies créatrices. Au niveau des pays du Maghreb notamment, cela passe par la création d’une monnaie maghrébine.

La coordination des politiques commerciales, fiscales, douanières, des banques centrales est un objectif vital et il serait souhaitable la mise sur place d’une banque centrale maghrébine qui serait un maillon du système européen des banques centrales afin de favoriser la création de la zone de libre échange Europe – Maghreb et accélérer la convertibilité intégrale des monnaies ce qui dynamiserait les échanges. Cette action aura comme support une institution financière méditerranéenne à l’instar de la banque européenne pour la reconstruction et le développement actuellement orientée vers les pays de l’Est. Cette banque pourrait être scindée en deux compartiments en privilégiant des relations avec le Fonds Monétaire International ainsi que les structures de la Communauté Economique Européenne.

Le premier compartiment fonctionnerait comme une banque normale qui se finance sur le marché international accordant des prêts aux taux du marché ; le deuxième compartiment grâce à des dons et à des crédits d’aide (aligné sur le taux d’inflation du G7) avec une période de grâce de 5 ans et une période d’amortissement entre 15 et 20 ans financerait des projets de développement notamment la formation professionnelle, favorisant l’émergence de managers et d’entreprenants par une adaptation technologique et des systèmes modernes de gestion ainsi que de projets importants aidant à la construction du réseau de l’espace économique méditerranéen par des sous-réseaux imbriqués dont les PMI – PME, le transport, les télécommunications par la promotion des nouvelles technologies, en sont la pierre angulaire.

2- Les relations futures concerneront entre 2OO9/2O15 l’espace Europe –Maghreb et plus globalement l’espace euro méditerranéen

Je pense fermement et après analyse que l’intensification de la coopération entre l’Europe- et le Maghreb fondée sur un véritable co-développement, le partenariat, l’introduction de l’investissement direct permettrait, de bouleverser ces comportements et les inscrire dans une perspective dynamique profitable aux populations de la région et faire du bassin méditerranéen un lac de paix et de prospérité. C’est que l’espace méditerranéen peut être ce lieu de création de réseaux rationnels. Car l’économie de marché concurrentielle répond à des lois universelles, mais il existe des spécificités sociales nationales dont il convient de tenir compte car source d’enrichissement mutuel permettant de communiquer avec des cultures lointaines et favorisant la symbiose des apports de l’Orient et de l’Occident.

Ce réseau doit favoriser les liens communicationnels, les ères de liberté dans la mesure où les excès du volontarisme collectif inhibent tout esprit de créativité. Il y a lieu d’accorder une attention particulière à l’action éducative car l’homme pensant et créateur devra être à l’avenir le bénéficiaire et l’acteur principal du processus de développement. C’est pourquoi je préconise la création d’une université euro-maghrébine ainsi qu’un centre culturel de la jeunesse méditerranéenne comme moyen de fécondation réciproque des cultures, et la concrétisation du dialogue soutenu pour éviter les préjugés et les conflits sources de tensions inutiles. Les différents programmes initiés par la CEE comme MED CAMPUS-MED MEDA -MED-INVEST-AVICENNE devraient favoriser l’émergence de nouveaux comportements pour un devenir solidaire.

C’est que le Maghreb et l’Europe sont deux régions géographiques présentant une expérience millénaire d’ouverture sur la latinité et le monde arabe avec des liens naturels et dans son ensemble porte de culture et d’influences anglo-saxonnes.

Economiquement l’Europe et le Maghreb présentent l’un et l’autre des atouts et des potentialités pour la promotion d’activités diverses et cette expérience peut être un exemple de ce partenariat global devenant l’axe privilégié du rééquilibrage du Sud de l’Europe par l’amplification et le resserrement des liens et des échanges sous différentes formes. Il est indispensable que l’Europe développe toutes les actions qui peuvent être mises en œuvre pour réaliser des équilibres souhaitables à l’intérieur de cet ensemble. En fait la constitution d’espaces régionaux économiques faibles est une étape d’adaptation structurelle au sein de l’économie mondialisée.

Et afin de favoriser un quadruple objectif solidaire:la démocratie politique,- une économie de marché concurrentielle et à base de concertation sociale,-les débats contradictoires d’idées par des actions sociales et culturelles pour combattre l’extrémisme et le racisme -la mise en œuvre d’affaires communes n’oubliant jamais que les entreprises sont mues par la seule logique du profit et dans la pratique des affaires il n’ y a pas de sentiments.

Dans ce cadre l’émigration maghrébine ciment des liens culturels peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération. C’est un élément essentiel de ce rapprochement du fait qu’elle recèle d’importantes des potentialités économiques et financières. Car la promotion des relations entre le Maghreb et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le Gouvernement, les missions diplomatiques, les entrepreneurs, les commerçants et les compétences individuelles.

L’engagement implicite caractérisant les relations entre nos communautés émigrées et les pays d’origine, ne doit pas occulter les légitimes intérêts strictement économiques des parties concernées pour garantir la rentabilité et la pérennité des opérations engagées. Les pouvoirs exécutifs devraient veiller, dans le cadre organisationnel et législatif, à alléger l’ensemble des procédures administratives, afin de favoriser la promotion de l’investissement et les échanges commerciaux, à l’instar de pays qui utilisent leurs compétences nationales localisées à l’étranger comme point d’appui au développement national. Cela permettrait par des actions concrètes de promouvoir la synergie de systèmes privés, politiques et administratifs, pour développer une approche « coopération » avec l’Europe qui pourrait être mieux perçue par l’interlocuteur maghrébin qu’une approche purement commerciale ,

En conclusion : entreprendre ensemble

Les relations entre les pays du Maghreb d’une part, le Maghreb et l’Europe d’autre part, sont souvent passionnées pour des raisons historiques. Mais avec de nombreux intellectuels, entrepreneurs et hommes politiques maghrébins et européens, soucieux de concilier la modernité et notre authenticité, je suis convaincu du fait de la densité de nos rapports culturels qu’elles seront transgressées dans le cadre des intérêts bien compris de chaque nation.

Le projet pour Union pour la Méditerranée initiée par le Président Nicolas Sarkozy, bien qu’il ait subi des remaniements, devant être complémentaire et on concurrent au processus de Barcelone, sous réserve de projets concrets est me semble t-il une heureuse initiative et c’est pourquoi j’y adhère pleinement. Aussi, l’accélération des réformes économiques, sociales, culturelles (le droit à la différence) et politiques inséparable de l’instauration de l’économie de marché humanisée basée sur la concertation sociale, de l’instauration de la démocratie, du respect du droit de l’homme, de la promotion de la condition féminine et de la sécurité conditionnent largement la réussite de cette grande entreprise qui interpelle notre conscience maghrébine, européenne et plus globalement méditerranéenne. Aux tensions et aux conflits doivent se substituer la coopération et un dialogue soutenu pour éviter des factures douloureuses.

Le Maghreb doit être un véritable espace économique, un relais puissant entre l’Europe, le Moyen Orient et l’Afrique et un lieu de brassage des cultures, la culture étant entendue comme processus historique et relationnel. Car il est suicidaire pour chaque pays du Maghreb de faire cavalier seul à l’heure des importantes mutations mondiales. Le repli sur soi serait préjudiciable à notre prospérité commune et engendrerait d’inéluctables tensions sociales. L’histoire commune nous impose d’entreprendre ensemble. Car comme le dit l’adage arabe avec une profonde philosophie, une seule main ne saurait applaudir. C’est le modeste message de cette contribution à nos dirigeants maghrébins et européens.

NB- Pour plus de développement concernant ce sujet voir les contributions de Abderrahmane Mebtoul :

– Interview février 2009 à Radio France Internationale( RFI Paris France) : comment consolider face à la crise mondiale l’intégration maghrébine

-Intervention du docteur Abderrahmane Mebtoul versée au forum de Paris qui s’est tenu au siège Unesco France du 28/31 mars 2008 en présence de plus de 3000 personnalités internationales des deux rives de la méditerranée.

-Revue internationale Economie Advisers Tunis- septembre 2007Abderrahmane Mebtoul « le Maghreb face à la sécurité en méditerranée : l’énergie au cour des enjeux géostratégiques »

– Intervention de Abderrahmane Mebtoul au siège de l’Unesco ( Paris France 1994) à l’occasion de la fondation de l’Association Europe Afrique « la place du Maghreb dans la stratégie euro méditerranéenne » reproduit lors d’une conférence devant les ambassadeurs accrédités à Alger , édition revue Ministère des Affaires étrangères Algérie volume IV premier semestre 1995.

– Communication du docteur Abderrahmane MEBTOUL « Le développement de l’Afrique :un enjeu majeur » suite à l’invitation de M. Steve GUNDERSON Président et Directeur Général du Council on Foundations (Conseil des fondations de Washington ) et Miss Jennifer KENNEDY « GCDF Gunderson Council Foundation » qui a été versée à l’ importante rencontre internationale consacrée à l’Afrique pour ce IIème Congrès qui s’est tenu du 26 au 30 mai 2008 à New York (USA) rencontre co-organisée avec la fondation Bill et Melinda Gates et sponsorisée notamment par les importantes fondations Rockefeller, Ford, MacArthur, Andrew Mellon, Carnegie et Hewlett ,qui verra la présence de plusieurs centaines de personnalités mondiales, et qui traitera du développement humain à travers les sommets sur l’OMD ( Objectif du Millenium pour le développement) et l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).

NB- Abderrahmane MEBTOUL Diplôme d’expertise comptable 1971 de l’institut supérieur de gestion de Lille , docteur d’ Etat Es Sciences Economiques depuis 1974, ex émigré école primaire, secondaire, une fraction du supérieur à Lille France. A occupé plusieurs postes de responsabilités tout en étant enseignant à l’Université – Conseiller des Ministères l’Energie et de l’Industrie et directeur d’Etudes pour des audits d’intérêts national , assisté d’experts internationaux et nationaux (ayant porté surtout sur Sonatrach ) de 1974/1980, 1991/1995, de 2000/2005. Directeur central des études économiques et premier conseiller à la Cour des Comptes de 1980/1983-Président directeur Généal. d’un bureau d ‘Etudes de réalisation de projets de 1985/1990- Président du Conseil National des Privatisations de 1996/1999-avec rang de Ministre Délégué . Direction de l’audit réalisée pour la présidence de la république algérienne sur la problématique de l’emploi et les salaires en Algérie ( dont la grille de la fonction publique ) de janvier 2006 à mars 2007. Fondateur de l’Association Algérienne de l’Economie de Marché ADEM avec des intellectuels et entrepreneurs algériens de l’Est- du centre, du Sud et de l’Ouest dont il est président depuis 1992. Enseigne les doctorats en mangement stratégique des entreprises et des institutions à l’Université d’Oran.