Il est un sujet en Algérie où les tabous ne sont encore guère retournés, le sexe et ses dérivatifs. Le sexe, culture ou inculture des autres est un vocable qui ne se propose presque jamais en groupe ou en société. Abjection, infamie, interdit sont inculqués dans l’ensemble de l’esprit collectif même pour ceux qui le pratiquent secrètement à l’indifférence d’un simili puritanisme régnant. Sous couvert d’un islam ancestral les relations hommes femmes ne sont prononcées que lorsque les dispositions du mariage se mettent en exergue. Le mot d’ordre est d’avance établi, pas de relations sexuelles avant le mariage, la devise est même occultée. Rien ne se dit ou ne s’apprend, les choses se font en silence dans un climat de méfiance. Les gamins apprennent vite à s’organiser en cachant leurs « abominables » libidos grâce à des codes de déontologie qui n’existent que par l’absence d’éducation sexuelle, d’attitudes ostentatoires de personnes ainées qui manifesteraient, en des temps normaux, leurs désirs d’unions soit dans la rue par des gestes de tendresses, les tenues de mains des couples, les embrassades publiques etc. Soit à travers l’éducation culturelle à travers le cinéma, la télévision, le théâtre. Tout est strictement censuré, pas de baisers d’amoureux dans les comédies fictives. Et pourtant le Coran fait bien apparaître le terme de Nikah qui signifie accouplement, mariage entre un homme et une femme. Ce mot s’est curieusement francisé en « nique » dont on connait tous l’étymologie. Il est même une expression populaire issue du hadith qui dit : la’ ihya fi din qui signifie qu’il n’y a pas de honte à parler de sexualité en Islam. Si la religion islamique n’interdit pas de commenter les rapports sexuels, d’où vient alors cette répulsion maladive lorsqu’il s’agit d’imaginer, d’évoquer le sexe, je dis bien imaginer parce qu’en parler est absolument banni à des années lumières de l’opinion générale ?
Cependant la rue est une brèche ouverte à toutes les libertés. Les gens s’épient, s’observent, s’invitent ou s’insurgent selon les affinités ou les répulsions. Les grossièretés les plus obscènes sont légion. Des termes argotiques venant des quartiers populaires vociférés par des voix inharmonieuses voire animales volent allègrement parmi la rumeur de la ville. Cela fait bien entendu parti du folklore du grand urbain. Des expressions interprétées par nos « voyous » dont les passants bien pensant connaissent bien les refrains et qu’ils utilisent intimement en des moments convenables.
Pour entendre les pires chansons dont les paroles feraient hisser les oreilles du plus chaste, il faut aller au stade voir jouer le Mouloudia où point l’ombre d’une femme n’est présente. Nous assistons là à une joute verbale scandée de part et d’autre par des milliers de supporters. Aucun répit n’est donné pendant les 90 minutes de jeu. Le public s’en donne à cœur joie au dam des quelques enfants qui accompagnent leurs papas ou des personnes qui viennent à peine d’accomplir leurs devoirs religieux à la mosquée, le vendredi, jour de repos et jour de match. C’est à croire que l’obsession sexuelle est à son paroxysme, sous un soleil de plomb, les gens libèrent en rythme leurs frustrations dans des vociférations endiablées. Ceux qui ne scandent pas, écoutent amusés leurs semblables et se sentent parfaitement solidaires de ce qu’ils entendent assez bien. Si par malheur une femme passait au milieu de cette liturgie barbare, elle se ferait tout bonnement dévorer par la horde transcendée.
Où vient alors cette répulsion lorsqu’il s’agit d’imaginer, d’évoquer le sexe ? La réponse est simple et complexe à la fois ! « Simple » du fait de l’attitude des gens du sud de la Méditerranée qui éprouvent un sentiment d’appartenance à un clan, une tribu voire une famille sous l’influence d’un chef ou d’un caïd. Ces protagonistes ne permettent aucun manquement qui ferait défaut à l’honneur de la famille. La femme, objet de toutes les convoitises est soit un butin, soit une dot pour le clan ou un bijou qu’on surveille jalousement. La makhlouqa est interdise de se hasarder seule dans des relations qui terniraient le blason de la tribu. Malheur aux tentateurs ! Le temps a fait que ces comportements se sont profondément incrustés dans l’esprit de la société algérienne même lorsqu’il n’y a plus lieu de défendre l’honneur de quoi que ce soit. Si bien que les enfants singent avec fougue les mêmes attitudes de leurs ainés.
« Complexe » lorsque les préceptes de l’islam se mêlent aux comportements anachroniques de l’individu vis-à-vis de l’éthique où l’égoïsme, l’extrême méfiance, la convoitise etc. se substituent à la prohibition sacralisée des rapports hommes/femmes. Pas question que la petite sœur lève le moindre cil vers ce voisin qui horripile ou malheur à l’étranger de passage qui oserait murmurer des affabilités à la voisine ou à la copine du frère d’un tel… Nous constatons donc en réalité une situation complètement bloquée où de facto l’illusion d’un monde honnête se justifie de manière hypocrite. Cependant les événements sont volontairement occultés lorsque tout un chacun, dès que le besoin se fait sentir, crée des histoires incontrôlables qui s’opèrent au mépris de la bonne conscience. Des drames familiaux sont à l’origine de ces libertés. Des enfants illégitimes, jetés sans pitié à la poubelle surgissent parfois dans les rubriques de faits divers. Des jeunes femmes immariables pour cause de perte de virginité sont de plus en plus nombreuses dans les grandes agglomérations. Les villages et les douars ne font pas exception où les choses sont plus latentes parce que tout le monde se connaît et les uns sont promis aux autres presque dès l’âge de sept ou huit ans.
En revenant dans les villes, les jeunes gens s’organisent pour répondre à leur besoin de communiquer intimement avec la personne de sexe opposé. Les lieux de rencontres ne manquent presque pas à savoir l’entreprise, le bureau, l’université, le lycée et les instituts. Le but principal est d’avoir son petit béguin soit pour des relations occasionnelles pour certains, soit pour le mariage pour d’autres. Les autres, ceux qui n’ont ni travail, ni institut : la rue et ses cafés ; le réservoir de l’amour est dans la nature où dès qu’un contact inopiné se déclenche on n’hésite pas à aller se fourrer là où certains individus étaient oppressés par un besoin de libérer leurs excréments. Le couple fraîchement formé se retrouve à ciel ouvert, dans des coins nauséabonds pour assouvir quelques besoins par ces mêmes voies naturelles.
Tous ne sont pas victimes de leur incontrôlable libido, bien souvent il s’agit de jeunes hommes frisant la trentaine et vivant toujours chez les parents. A défaut d’avoir trouvé l’âme sœur ou bien n’ayant pas les possibilités à un ménage ces infortunés demeurent opiniâtrement en toute chasteté. Pas question du moindre flirt, qui les rendrait fous, avant le mariage. Dans leurs coins, affichant des attitudes réservées, ils attendent indéfiniment qu’il leur tombe du ciel l’oiseau rare qui leur rendrait grâce. La fatalité est leur principal crédo et grâce à ceci, ils s’en tiennent à bon compte dans un pays où tout est ostentatoirement interdit.
Contrairement à ce que l’on peut penser de l’attitude du français moyen compréhensif et moderne dès qu’il entame le sujet du sexe, il devient vite un trublion (féminin ou masculin) où il déballe toutes sortes d’anecdotes pour faire rire l’assemblée. Le sujet tourne donc à la dérision, une parade pour cacher aussi bien ses complexes que ses phantasmes.
A. Ouadda
Auteur compositeur et écrivain.